Le rôle de la course aux métaux stratégiques dans les conflits actuels
Les métaux critiques font l’objet de rivalités telles qu’il faut se préparer à ce que les rapports de force pour leur contrôle se transforment en conflits armés, déstabilisant potentiellement des régions, voire États. Les cas de la République démocratique du Congo, ou de la Birmanie, sont symptomatiques de ces évolutions. À terme, les risques pèsent aussi sur les chaines de valeur plus larges liées aux métaux, et notamment le segment de la logistique, qui est essentiel et représente un point de vulnérabilité majeur potentiellement exploitable par le crime organisé, des organisations armées et / ou des États.
Le rapport entre les métaux et les conflits a jusqu’à présent été largement dominé par la problématique de la gestion des métaux provenant de zones de conflit, c’est-à-dire de la gouvernance des chaînes de valeur pour éviter que ces métaux qui alimentent généralement financièrement ces conflits et sont produits dans des conditions souvent inhumaines ne se retrouvent dans les chaînes de valeur occidentales, transformant l’acheteur ou consommateur occidental en complice indirect de crimes de guerre par exemple. À l’image des diamants de sang, des règles de traçabilité, certification et de bonne conduite ont été établies au début des années 2000 sous l’égide du processus de Kimberley, rassemblant, notamment, De Beers, des gouvernements et ONG, à la suite des scandales liés à la Sierra Leone ou à l’Angola. L’OCDE joue aussi un rôle clé dans l’élaboration et la mise en œuvre de bonnes pratiques qui sont devenues des standards pour les industries occidentales (guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque).
Les métaux ont déjà joué un rôle majeur dans l’histoire des conflits passés, car sans métaux, pas de canons, pas de financements, et pas de technologies avancées. On peut rappeler ici les efforts allemands pour sécuriser des approvisionnements en minerais de fer norvégiens ou suédois pendant la Seconde Guerre mondiale ; l’effort britannique sans précédent de recyclage pour tenir lors de la bataille de l’Atlantique ; la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951 ; les relations étroites entre les pays occidentaux et l’Afrique du sud, la Guinée-Conakry ou le Zaïre pendant la guerre froide ; ou encore les efforts occidentaux pour sécuriser des ressources en uranium dans des pays africains.
Si la géopolitique des matières premières a été largement dominée depuis la Seconde Guerre mondiale par les rivalités autour du contrôle, de l’exploitation et du commerce des hydrocarbures, une géopolitique des métaux s’esquisse et s’aiguise désormais, avec des rapports de force de plus en plus explicites et la mise en œuvre d’outils de puissance. La Chine arsenalise à nouveau depuis 2022, à une échelle sans précédent, la dépendance de nombreux pays et entreprises à ses fournitures de métaux et produits raffinés, en particulier pour les industries de défense américaines, mais aussi les métaux utiles aux technologies numériques ou décarbonées. En réaction, à l’instar du Japon et de la Corée du sud qui ont développé des politiques de sécurité minérale depuis plus de quinze ans (stocks stratégiques, investissements miniers à l’étranger), l’Union européenne et les États-Unis déploient des stratégies pour diversifier leurs approvisionnements et sécuriser leurs chaînes de valeur minérales, et le G7 s’est aussi emparé du sujet. L’enjeu est triple : développer la production minière intérieure partout où c’est possible, les administrations américaines allant jusqu’à mettre en place des tarifs d’importation sur le cuivre ou le graphite pour encourager la production intérieure, ou jusqu’à soutenir financièrement des acteurs miniers ; soutenir des chaînes de production et raffinage diversifiées et responsables, notamment via des normes communes ; renforcer le recyclage et les sources d’approvisionnement secondaires, car, à la différence des hydrocarbures, les métaux peuvent être recyclés et réutilisés dans de larges proportions ; et promouvoir des chimies alternatives pour réduire les vulnérabilités trop concentrées.
Le constat général est celui d’une montée des confrontations autour des métaux stratégiques :
- avec les transitions énergétique et digitale, le réarmement mondial et la croissance économique, les besoins augmentent souvent plus rapidement que la production ;
- la Chine a construit au cours des vingt dernières années des positions oligopolistiques, voire monopolistiques, dans la fourniture de différents métaux clés et est en mesure non seulement d’impacter les volumes disponibles pour les marchés mais aussi les prix ;
- de nombreux États dans le monde détenteurs de ressources cherchent à ne pas être de simples extracteurs de ressources, mais à localiser une part croissante de la valeur ajoutée pour soutenir le développement industriel et économique local, et n’hésitent pas à susciter des convoitises pour maximiser leurs gains;
- certains pays détenteurs de ressources ont des systèmes politiques non démocratiques, ou un environnement institutionnel et règlementaire faible et instable propice à la prédation des ressources ;
- les conditions d’investissement dans le secteur des métaux se dégradent, avec des taux d’intérêt élevés, les restrictions liées à la taxonomie verte, les incertitudes sur les rythmes de développement de la demande, les risques économiques et politiques, et l’attrait pour des métaux non stratégiques, comme l’or, entre autres ;
- de nouveaux acteurs prennent rapidement des positions majeures et disruptives dans les marchés des métaux, comme les pays du Golfe et leurs différents véhicules d’action, les maisons de négoce, ou des entreprises publiques liées à des États comme la Chine ;
- enfin, le monde semble progressivement tourner la page des règles multilatérales sur le commerce libre et ouvert, sur le respect des frontières et souverainetés et règles de la Charte des Nations unies. Ce monde multipolaire comporte des éléments de retour aux sphères d’influence, au droit du plus fort, aux subventions généralisées, aux barrières protectionnistes directes et indirectes, et à la confrontation géopolitique et géoéconomique.
Les métaux sont désormais un élément central de ce nouvel environnement extrêmement dégradé et incertain, où la confrontation, plutôt que la coopération, prend le dessus. Dans cet article, nous entendons évaluer le rôle des métaux dans certains conflits actuels, évaluer la politique américaine et déterminer quelles perspectives de conflits l’on pourrait envisager à l’avenir.
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> Lire l'article dans son intégralité, publié dans la revue « Réalités Industrielles » des Annales des Mines, Novembre 25.
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