Chine-Inde : un rapprochement sous contrainte

En marge du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, qui s’est déroulé du 31 août au 1er septembre, le Premier ministre indien Narendra Modi a rencontré le président chinois Xi Jinping. Cette deuxième rencontre en moins d’un an reflète la volonté des deux pays de renouer le dialogue après une longue période de tensions, consécutive aux affrontements frontaliers dans la vallée de Galwan en juin 2020.

En marge du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui s’est déroulé du 31 août au 1er septembre, le Premier ministre indien Narendra Modi a rencontré le président chinois Xi Jinping. Cette deuxième rencontre en moins d’un an reflète la volonté des deux pays de renouer le dialogue après une longue période de tensions, consécutive aux affrontements frontaliers dans la vallée de Galwan en juin 2020.
Plusieurs mesures d’ouverture ont été adoptées en l’espace de quelques mois parmi lesquelles la reprise des vols directs, l’assouplissement des procédures d’octroi des visas, la signature d’un accord relatif à la gestion de la frontière, ainsi que la réouverture du commerce transfrontalier. Néanmoins, malgré ces avancées, un antagonisme profond demeure, nourri par une méfiance solidement enracinée.
Sur le terrain, les tensions entre les deux voisins restent vives : le statu quo d’avant les affrontements de Galwan n’a pas été rétabli. Pékin maintient ses troupes sur des portions disputées de la frontière himalayenne, dans un flou entretenu sur les gains territoriaux réalisés. Moins de trois ans après les derniers heurts frontaliers, les signes d’un réchauffement demeurent fragiles. À cela s’ajoutent d’autres sources de tension persistantes, parmi lesquelles le soutien militaire et financier de Pékin au Pakistan, ainsi que l’inquiétude provoquée par les nouveaux projets hydrauliques chinois au Tibet, que New Delhi perçoit comme une tentative de contrôle des ressources en eau du nord-est de son territoire. Par ailleurs, Delhi observe avec préoccupation ce qu’elle considère comme une expansion des opérations navales chinoises dans l’océan Indien. Combinée à l’influence grandissante de Pékin dans les pays voisins de l’Inde, cette dynamique nourrit à New Delhi un sentiment grandissant d’encerclement stratégique.
Cette hostilité latente ne doit pas faire oublier la nécessité, du point de vue de l’Inde, de trouver un modus vivendi acceptable, qui relève davantage d’une cohabitation contrainte que d’un véritable alignement. Une rivalité ouverte avec Pékin représente un coût important pour Delhi, à commencer par les moyens militaires mobilisés le long de la frontière, où plusieurs dizaines de milliers de soldats sont déjà déployés. Cette contrainte est d’autant plus lourde que le déséquilibre de puissance entre les deux pays penche nettement en faveur de la Chine. Par ailleurs, si la Chine est perçue comme une menace majeure en matière de sécurité, l’Inde en reste fortement dépendante économiquement. Ses importations en provenance de Chine atteignent près de 100 milliards de dollars, couvrant aussi bien des biens de consommation que des composants stratégiques — de l’électronique aux principes actifs pharmaceutiques. Le programme « Make in India », conçu pour renforcer l’autonomie industrielle du pays, demeure largement tributaire du « Made in China ». Pékin n’a d’ailleurs pas hésité ces derniers mois à exploiter ce levier, comme en attestent les récentes restrictions imposées à l’exportation d’engrais et de machines-outils, vitaux pour l’économie indienne.
Cette fragilité structurelle s’est encore accentuée avec la récente évolution de la position américaine. Considérés comme un partenaire stratégique essentiel dans la quête d’émancipation économique de l’Inde face à Pékin, les États-Unis ont infligé un coup dur à Delhi en imposant des droits de douane de 50 % sur plus de la moitié des produits indiens importés, en réaction à l’importation massive de pétrole russe par l’Inde, accusée de financer indirectement la guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine. Pour ne rien arranger, l’administration Trump multiplie les gestes d’ouverture envers le Pakistan ces derniers mois, notamment depuis les affrontements survenus en mai entre ce dernier et l’Inde. Donald Trump a même reçu à la Maison-Blanche le général Mounir, chef de l’armée pakistanaise. Ce revirement soudain ébranle profondément la relation de confiance que l’Inde avait patiemment construite avec Washington au cours de plus de vingt ans de rapprochement stratégique.
La Chine n’a pas tardé à tirer parti de l’affaiblissement du lien indo-américain, qu’elle a exploité avec habileté. En affichant sa solidarité avec New Delhi dans le différend commercial qui l’oppose à Washington, Pékin s’est présenté comme le défenseur des règles du commerce international. Ce geste opportun s’inscrit dans un contexte où Pékin a toujours regardé d’un œil méfiant le rapprochement stratégique entre New Delhi et Washington, en particulier au sein du Quad — ce forum de sécurité regroupant les États-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie, perçu à Pékin comme un instrument de containment régional. D’autant plus que par le passé, les États-Unis ont apporté un soutien à l’Inde dans ses confrontations avec la Chine, notamment en fournissant des renseignements à Delhi lors de la crise de Galwan. L’Inde se retrouve ainsi prise en étau entre la pression stratégique et économique croissante de la Chine et les contraintes diplomatiques et commerciales imposées par les États-Unis, ce qui réduit sensiblement sa marge de manœuvre sur la scène internationale.
Le dégel sino-indien, s’il est réel dans sa forme, reste donc fragile dans ses fondements et par conséquent, incertain dans sa portée. Il reflète moins une véritable convergence d’intérêts qu’un rapprochement fragile, dicté par le pragmatisme. Dans un contexte international de plus en plus instable, l’Inde cherche avant tout à protéger ses intérêts économiques tout en s’efforçant de préserver au mieux son autonomie stratégique – comme en témoigne la visite du Premier ministre Narendra Modi au Japon avant son déplacement en Chine. De son côté, la Chine, tout en convoitant le marché indien, vise surtout à renforcer sa centralité régionale et à conserver ses leviers de pression sur New Delhi.
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