La dimension stratégique des compétences dans le pacte européen pour une industrie propre

Dans les batailles de la transition énergétique et de la compétitivité, l’Union européenne (UE) doit maîtriser un facteur déterminant : les compétences.

Après la crise énergétique de 2022, le débat sur la compétitivité en Europe s’est focalisé sur les coûts de l’énergie et l’agenda de simplification, alors que plusieurs enquêtes et rapports (Banque européenne d’investissement, Eurobaromètre, Organisation de coopération et de développement économiques) montrent que pour la plupart des entreprises de l’UE, le problème le plus crucial et le principal obstacle à l’investissement est le manque de personnel ayant les bonnes compétences. Pour réussir la double transition bas-carbone et numérique, l’UE doit mettre les travailleurs et les compétences au cœur du projet européen.
La double transition énergétique et numérique n’est rien de moins qu’une révolution des compétences, avec au cœur l’apprentissage tout au long de la vie et la collaboration intersectorielle. D’ici 2030, jusqu’à 4,8 millions d’emplois additionnels pourraient être créés en Europe dans certaines technologies bas-carbone clés, mais cela dépend de la disponibilité des compétences, de la mise en œuvre rigoureuse du cadre 2030 du Pacte vert et de la capacité de l’UE à retenir des capacités de production de technologies propres sur son sol. Alors que la transition énergétique devrait être créatrice nette d’emplois en Europe, la crise actuelle des secteurs manufacturiers traditionnels s’est traduite par près d’un million de pertes d’emplois depuis 2019 et, d’ici 2040, environ 8 millions de personnes dans plusieurs industries liées aux combustibles fossiles (charbon, raffineries de pétrole et industries pétrochimiques, voitures à moteur à combustion interne) devront se reconvertir et monter en compétences pour occuper de nouveaux postes, les pays d’Europe centrale et orientale étant particulièrement confrontés à ces difficultés. L’UE et les États membres doivent consacrer des lignes de financement spécifiques à la formation et à la reconversion professionnelle, qui peuvent être estimées entre 17 et 25 milliards d’euros pour les formations dans le paramètre de la transition énergétique et des industries propres – des montants comparables à la puissance financière du Fonds pour une transition juste. Les compétences les plus recherchées relèvent du domaine des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM), de la formation technique et professionnelle, mais aussi des métiers transversaux tels que la gestion de projet.
À la suite du rapport Draghi, la Commission européenne a inscrit les compétences parmi les piliers du Pacte pour une industrie propre et reconnu leur valeur stratégique pour la réussite de la transition énergétique et de la transformation industrielle. L’Union des compétences pourrait marquer le début d’une action européenne plus résolue pour relever les trois défis les plus importants pour l’UE : l’affaiblissement des performances dans les compétences de base (mathématiques, lecture et sciences mais aussi compétences numériques), le vieillissement de la main-d’œuvre (plus d’un tiers des travailleurs du secteur de l’électricité ayant entre 50 et 74 ans) et la nécessité d’assurer une transition juste dans les régions européennes très touchées par les enjeux de restructuration du tissu économique. L’objectif principal devrait être une vision européenne des compétences au service d’une véritable politique sociale et industrielle européenne, financée par un budget européen fort et tourné vers l’avenir.
Les États membres devraient consacrer davantage de ressources au renforcement des systèmes éducatifs, au soutien de la formation tout au long de la vie et à inciter les entreprises à proposer des formations, tout en jouant un rôle plus actif et plus systématique dans le suivi de l’évolution des besoins en compétences et de leur disponibilité sur le marché, des écarts entre les offres d’éducation et de formation existantes et les besoins des entreprises ainsi que les fluctuations du marché de l’emploi. Une attention particulière devrait être accordée aux régions concernées par la transition juste qui font face à des défis accrus en termes de restructuration industrielle et d’attraction de nouvelles opportunités économiques.
Au niveau européen, les académies « zéro net » (NZA), dont le mandat est de dynamiser le vivier de talents de l’UE en vue de la production et du déploiement des technologies bas-carbone en Europe, peuvent changer la donne. Elles devraient être renforcées afin de garantir :
- Une participation inclusive et axée sur l’impact, avec une mission générale de coordonner un travail d’intelligence et de veille sur les compétences à l’échelle européenne (identification des besoins en compétence, des évolutions des emplois, consolidation du reporting sur les dépenses pour la formation, etc.), de répondre aux lacunes de compétences les plus urgentes ainsi qu’aux enjeux de transition juste, en prenant en compte les besoins sectoriels et régionaux en rapide évolution.
- L’amélioration de l’accès aux plateformes de formation industrielle en identifiant les « champions européens de la formation », c’est-à-dire des acteurs industriels prêts à mettre leurs sites industriels à la disposition des initiatives européennes de formation, encourageant ainsi la mutualisation des infrastructures de formation, une utilisation plus efficace des fonds européens et la réduction des délais d’acquisition de compétences dans l’ensemble de l’UE.
- La promotion des canaux de diffusion des compétences afin d’amplifier les retombées des académies « zéro net » sur l’ensemble du territoire européen et au-delà (par exemple dans le cadre des partenariats industriels propres avec les pays tiers) en termes d’acquisition de compétences, par exemple par le biais d’initiatives telles que la « formation des formateurs » ou celles axées sur des projets transfrontaliers d’infrastructures/d’énergie (comme les parcs éoliens offshore). Une NZA devrait être dédiée aux réseaux électriques, qui constituent le fondement de l’électrification et sont confrontés à des besoins de modernisation et de déploiement sans précédent à travers l’Europe dans un court laps de temps. Il est nécessaire de développer une compréhension collective des besoins et de l’offre de compétences, ainsi qu’un écosystème de formation renforcé qui peut s’appuyer sur la meilleure expertise européenne en matière de formation industrielle et de simulation.
- La création de « parcours de carrière bas-carbone » reconnus au niveau européen, en identifiant des socles de compétences communes à plusieurs industries/fonctions qui pourraient servir de passerelle pour passer d’un secteur à l’autre, afin de mieux gérer les fluctuations du marché du travail et promouvoir la formation modulaire.
- Revaloriser la formation technique et professionnelle en Europe grâce à des systèmes de certification européens, des financements européens pour l’apprentissage dans les secteurs industriels critiques et dans les régions concernées par la transition juste.
Attirer et soutenir les talents d’excellence ainsi que les personnes possédant les compétences adéquates pour les industries européennes venant de l’étranger, grâce à des visas dédiés (par exemple via le Réservoir européen de talents), des dispositifs de mobilité et la reconnaissance des qualifications.
> Cette publication est uniquement disponible en anglais: «The Strategic Dimension of Skills in the Clean Industrial Deal »
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