La place de l'Europe dans le monde : d'hier à demain
La première mondialisation du XXe siècle a produit un profond bouleversement de l’ordre des puissances et une dévalorisation globale des nations européennes. Elle a ainsi laissé le champ à une construction européenne largement technocratique et dépolitisée. Il est temps d’affirmer une vision nouvelle, fondée sur la coopération de nations qui demeurent en Europe le creuset de la démocratie. Seule une telle vision peut redonner à cette Europe son poids à l’international.
D’une mondialisation l’autre : entre la première mondialisation (1860-1911), sous égide britannique, et la seconde entamée après 1945 sous égide américaine, il y a en effet des différences, mais aussi beaucoup de similitudes, et par conséquent de leçons à tirer : l’une et l’autre visent la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et, dans une certaine mesure, des hommes. Dans les deux cas, le marché mondialisé a besoin d’un « patron », d’un hegemon qui en fasse respecter les règles : dans le premier cas, c’est la Grande-Bretagne maîtresse des mers, appuyée sur un empire qui concentre un cinquième de la population mondiale et attentive au maintien de l’équilibre européen. Dans la seconde mondialisation, ce sont les États-Unis avec leur avance technologique, leur surpuissance militaire, le réseau de leurs alliances et la projection mondiale de leurs multinationales.
Or, le mouvement même de la mondialisation induit dans les deux cas une profonde modification de la hiérarchie des puissances. Dans la première mondialisation, c’est la montée de l’Allemagne, après sa première unification, qui est le fait saillant dans l’ordre industriel et commercial. En 30 ans, elle triple sa production, alors que l’Angleterre la double et que la France ne l’accroît que d’un tiers. Dans la seconde mondialisation, le fait massif est la montée des « émergents » à partir des années 1990, au premier rang desquels la Chine, dont le produit national brut (PNB) rattrapera celui des États-Unis avant peu d’années.
La montée de l’Allemagne a commencé à inquiéter la Grande-Bretagne à partir de 1903. Celle-ci se rapproche alors de la France : c’est l’Entente cordiale de 1904. De même, les États-Unis prennent peu à peu conscience, dans les années 2000, de leur déficit commercial, de leur désindustrialisation croissante, de leur dépendance financière vis-à-vis de la Chine et de la montée en puissance, y compris militaire, de cette dernière. Ils opèrent, à partir de 2010, un pivotement de leur flotte de l’Atlantique vers le Pacifique, nouent des partenariats commerciaux transpacifique ou transatlantique, ou opèrent des rapprochements stratégiques en Asie, pour isoler la Chine. [...]
PLAN DE L’ARTICLE
- Transfert d’hégémonie et dévalorisation des nations européennes
- Une autre logique pour la construction européenne
Jean-Pierre Chevènement est sénateur et ancien ministre. Il a récemment publié 1914-2014. L’Europe, sortie de l’Histoire ? (Paris, Fayard, 2013).
Article publié dans Politique étrangère, vol. 79, n° 1, printemps 2014
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Téléchargez l'analyse complète
Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.
La place de l'Europe dans le monde : d'hier à demain
En savoir plus
Découvrir toutes nos analysesLa réforme de l'OTAN : le besoin, les obstacles, les nouvelles perspectives
L’histoire de l’OTAN, pendant et après la guerre froide, est celle de multiples réformes organisationnelles, greffées sur une trame institutionnelle très peu structurée. Il s’agit aujourd’hui, à l’occasion du débat sur le nouveau concept stratégique, de poursuivre cette dynamique de réforme en réaffirmant les objectifs fondamentaux de l’Alliance, en redéfinissant les équilibres entre ses diverses composantes, bref d’en arriver à une Alliance à la fois plus dynamique et plus pertinente.
L’ASEAN, en marge de l’architecture régionale de sécurité ? / Politique étrangère, vol. 90, n° 4, 2025
Les dirigeants d’Asie du Sud ne manquent pas de rappeler la « centralité » de l’ASEAN dans l’architecture de sécurité régionale. Pourtant, en pratique, ils tendent à privilégier les partenariats bilatéraux qui marginalisent progressivement cette organisation. Cette fragmentation affaiblit la coopération régionale, accentue les divisions et compromet la stabilité face aux tensions croissantes dans l’Indo-Pacifique. Ces tendances sont préoccupantes, à l’heure où s’aiguise la rivalité sino-américaine.
L’Asie du Sud-Est entre Chine et États-Unis : la stratégie du non-choix ? / Politique étrangère, vol. 90, n° 4, 2025
Le secret de la réussite des pays de l’Asie du Sud-Est réside dans leur choix du multilatéralisme économique et diplomatique. Le non-choix entre puissances rivales devient problématique. La Chine est redoutée pour son poids et sa proximité envahissante. Et les États-Unis de Trump sont à l’offensive contre le système commercial multilatéral, avec de lourdes conséquences en matière diplomatique. Les pays d’Asie du Sud-Est pourront-ils garder une posture d’équilibre en s’ouvrant à d’autres partenariats ?
La réforme de l'OTAN et le système de sécurité du monde libre
Le texte que nous republions ci-après fait écho à une présentation prononcée le 24 octobre 1964 devant les membres du Centre d’études de politique étrangère de Paris. Il a été publié pour la première fois dans Politique étrangère 4/1964.