Le commerce international est-il un facteur de paix ?
La théorie du « doux commerce » de Montesquieu n’a cessé d’être débattue. Ses plus virulents opposants ont été les marxistes, pour qui les échanges commerciaux entre économies capitalistes procèdent de l’exploitation du prolétariat et conduisent à l’impérialisme et à la guerre. La chute du bloc communiste n’a pas clos la controverse. Aujourd’hui, certains économistes affirment que l’interdépendance est un facteur de stabilité, tandis que d’autres soutiennent qu’elle favorise la montée des tensions.
La guerre a été conçue comme un mode naturel d’acquisition des richesses. La prédation, notamment par des moyens militaires ou de coercition, a toujours été un moyen privilégié pour s’enrichir, nullement contesté par les pères de l’Église ou les philosophes de l’Antiquité. Avec les mercantilistes, la puissance du prince devint l’objectif prioritaire de l’économie nationale. La politique extérieure visait alors à dominer, à coloniser, à asservir et à s’approprier les richesses des autres peuples. Colbert visait l’autarcie pour tous les produits stratégiques et il prônait une forme d’échange inégal. Dans ce contexte, la paix n’était pas considérée, en soi, comme un objectif. Pendant la guerre de Sécession, Lincoln a défendu les intérêts de la puissance industrielle et financière du Nord-Est protectionniste contre le Sud producteur agricole, favorable au libre-échange. Pour autant, cette guerre fut à l’origine du formidable développement industriel des États-Unis. La sécurité nationale impliquait alors des dépenses considérables de préparation au conflit armé, ce qui favorisa le développement des forces productives et la réalisation de la révolution industrielle. Un exemple qui témoigne de l’ambiguïté des relations entre l’économie et la guerre.
À la suite de Montesquieu, Adam Smith se proposa de démontrer qu’une économie de marché libre, fondée sur l’intérêt individuel, conduisait à terme à l’essor du commerce international (théorie des avantages absolus) et à la paix universelle. Cependant, plusieurs clauses devaient être respectées, souvent oubliées par ses épigones. D’abord, la sécurité nationale est une condition essentielle au bon fonctionnement du libre-échange. Ensuite, le bellicisme d’un État peut perdurer du fait d’un détournement de l’appareil étatique au profit d’intérêts particuliers. Enfin, au nom de la liberté du commerce, il faut supprimer la colonisation, l’esclavage mais aussi la libre circulation des capitaux.
La théorie libérale va alors glorifier une production industrielle impliquant un échange commercial international qui rend les guerres trop coûteuses pour toutes les parties au regard des avantages obtenus. Pour Jean-Baptiste Say, la connaissance des lois du marché devrait permettre à l’humanité de s’inscrire durablement dans la paix libérale. […]
PLAN DE L’ARTICLE
- La crise du commerce international d’après-guerre
- Le commerce international entre renouveau et instrument de puissance
- Les effets contrastés du commerce international sur la paix
- Le fonctionnement « voilé » d’une économie de marché « contrôlée » - Le commerce international et la fin interminable de l’histoire
- La prééminence des stratégies économiques
- Le commerce international, arme de puissance
- Le commerce international favorise la démocratie libérale et donc la paix
Jacques Fontanel est professeur d’économie à l’université Pierre Mendès France de Grenoble.
Article publié dans Politique étrangère, vol. 79, n° 1, printemps 2014
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Téléchargez l'analyse complète
Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.
Le commerce international est-il un facteur de paix ?
En savoir plus
Découvrir toutes nos analysesLa réforme de l'OTAN : le besoin, les obstacles, les nouvelles perspectives
L’histoire de l’OTAN, pendant et après la guerre froide, est celle de multiples réformes organisationnelles, greffées sur une trame institutionnelle très peu structurée. Il s’agit aujourd’hui, à l’occasion du débat sur le nouveau concept stratégique, de poursuivre cette dynamique de réforme en réaffirmant les objectifs fondamentaux de l’Alliance, en redéfinissant les équilibres entre ses diverses composantes, bref d’en arriver à une Alliance à la fois plus dynamique et plus pertinente.
L’ASEAN, en marge de l’architecture régionale de sécurité ? / Politique étrangère, vol. 90, n° 4, 2025
Les dirigeants d’Asie du Sud ne manquent pas de rappeler la « centralité » de l’ASEAN dans l’architecture de sécurité régionale. Pourtant, en pratique, ils tendent à privilégier les partenariats bilatéraux qui marginalisent progressivement cette organisation. Cette fragmentation affaiblit la coopération régionale, accentue les divisions et compromet la stabilité face aux tensions croissantes dans l’Indo-Pacifique. Ces tendances sont préoccupantes, à l’heure où s’aiguise la rivalité sino-américaine.
L’Asie du Sud-Est entre Chine et États-Unis : la stratégie du non-choix ? / Politique étrangère, vol. 90, n° 4, 2025
Le secret de la réussite des pays de l’Asie du Sud-Est réside dans leur choix du multilatéralisme économique et diplomatique. Le non-choix entre puissances rivales devient problématique. La Chine est redoutée pour son poids et sa proximité envahissante. Et les États-Unis de Trump sont à l’offensive contre le système commercial multilatéral, avec de lourdes conséquences en matière diplomatique. Les pays d’Asie du Sud-Est pourront-ils garder une posture d’équilibre en s’ouvrant à d’autres partenariats ?
La réforme de l'OTAN et le système de sécurité du monde libre
Le texte que nous republions ci-après fait écho à une présentation prononcée le 24 octobre 1964 devant les membres du Centre d’études de politique étrangère de Paris. Il a été publié pour la première fois dans Politique étrangère 4/1964.