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La Moldavie face à son destin. Les enjeux d'une élection législative décisive

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La Moldavie face à son destin. Les enjeux d'une élection législative décisive, Florent Parmentier
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À l’occasion de la fête nationale moldave, le 27 août 2025, Chișinău a accueilli une délégation européenne de premier plan, composée d’Emmanuel Macron, de Friedrich Merz et de Donald Tusk, qui ont souhaité réaffirmer leur soutien à la souveraineté et au cap pro-européen du pays. Cette visite inédite et hautement symbolique est intervenue à un moment charnière : la Moldavie s’apprête à vivre une élection législative décisive le 28 septembre prochain, dont les enjeux dépassent largement le cadre national.

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Drapeau moldave et bulletin de vote
Drapeau moldave et bulletin de vote
© Shutterstock.com
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La campagne électorale, qui s’étend du 29 août au 26 septembre, cristallise une reconfiguration profonde des clivages internes – entre pro-européens et forces pro-russes – et externes – dans un contexte régional marqué par la guerre en Ukraine et les tentatives d’ingérence de Moscou. Le scrutin, organisé selon un système proportionnel – avec des seuils de 2 % pour les candidats individuels, 5 % pour les partis et 7 % pour les blocs électoraux –, vise à renouveler les 101 sièges du Parlement moldave. Cette élection s’annonce cruciale, car c’est l’avenir géopolitique de cette ancienne république soviétique, située entre la frontière orientale de l’Union européenne (UE) et l’Ukraine, qui se joue.

Titre Edito

Une réorganisation du système partisan

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À l’approche des élections législatives, le paysage politique moldave connaît une profonde recomposition, marquée par l’érosion des repères traditionnels et l’émergence de nouvelles configurations partisanes. Les clivages historiques, pro-roumains contre pro-russes, puis pro-européens contre pro-russes, illustrent la perméabilité entre des enjeux identitaires en matière de politique intérieure (population majoritaire et minorités ethniques) et des orientations en politique étrangère, pro-russe ou pro-européenne. Des comportements politiques spécifiques sont propres à la région autonome de Gagaouzie, très favorable au courant pro-russe, ainsi qu’à la région séparatiste de Transnistrie, à l’est du pays. À cela s’ajoutent d’autres variables, plus classiques, opposant urbains et ruraux ainsi que les différentes générations. Cette fragmentation reflète une société sous tension, traversée par des aspirations contradictoires et une défiance croissante envers les élites.

Le Parti Action et Solidarité (PAS), formation pro-européenne de la présidente Maia Sandu, réélue en novembre 2024, reste la force politique dominante dans le pays. Lors de la précédente élection législative de juillet 2021, il avait obtenu 52,8 % des voix et 63 députés, créant ainsi les conditions d’une majorité stable autour du programme présidentiel. Solidement implanté à Chișinău, dans l’ouest du pays et fortement soutenu par une diaspora mobilisée, notamment en Europe, le PAS incarne la continuité réformiste. Pourtant, son isolement partisan sur le spectre politique compromet toute perspective d’alliance, refusée par la présidente. Cette stratégie joue à quitte ou double : exclure une alliance avant les élections doit permettre une mobilisation de l’électorat pro-européen, mais limite également les options après le scrutin en cas d’échec. Par contraste, le Bloc Impreuna (Ensemble), qui tente de fédérer les électeurs pro-européens déçus sans tomber dans l’anti-occidentalisme, peine à franchir le seuil électoral de 7 %, malgré son « Pacte pour l’Europe », inspiré par des accords similaires en Roumanie avant son adhésion à l’UE, engageant ses membres à soutenir l’adhésion de la Moldavie à l’UE.

En face, deux blocs pro-russes structurent l’opposition : le Bloc électoral patriotique (BEP) et les mouvements liés à Shor. Le premier est une alliance des anciens présidents Igor Dodon (2016-2020) et Vladimir Voronine (2001-2009), renforcée par des figures régionales comme l’ancienne gouverneure de Gagaouzie Irina Vlah (Inima Moldovei, Cœur de la Moldavie), ainsi que l’ancien Premier ministre Vasile Tarlev (Viitorul Moldovei, L’avenir de la Moldavie). Le bloc met l’accent sur la neutralité et la souveraineté de la Moldavie, présentant l’intégration européenne comme une menace pour l’indépendance nationale, et prône des relations plus étroites avec la Russie. Quant au bloc « Victoire » de l’oligarque exilé Ilan Shor, il a été exclu du scrutin pour financement illégal, une décision qui s’inscrit dans un contexte plus large de lutte contre l’ingérence russe. Cette exclusion trouve un écho international dans la démarche du Conseil de l’UE qui, le 15 juillet 2025, a imposé des sanctions ciblées à l’encontre de sept personnes et trois entités liées à Ilan Shor, témoignant de la convergence des efforts moldaves et européens pour contrer les tentatives de déstabilisation. Il en résulte que l’essentiel de l’électorat considéré comme « pro-russe » se concentrera sur le BEP.

Se positionnant comme pro-européen, le Bloc Alternativa, fondé le 31 janvier 2025, est mené par des personnalités politiques de premier plan : le maire de Chișinău Ion Ceban, l’ancien procureur général et candidat à la présidentielle Alexandre Stoianoglo, arrivé au second tour en 2024, l’ancien Premier ministre Ion Chicu et le conseiller politique Mark Tkaciuc. Ce bloc cherche à capter l’électorat « ni-ni » (ni Russie, ni l’Occident), lassé par la confrontation idéologique, tout en affichant une posture pragmatique et des connexions internationales ambiguës. Le bloc a néanmoins connu un revers diplomatique important lorsque Ion Ceban s’est vu interdire l’accès à la Roumanie et à l’espace Schengen pour des raisons de sécurité le 9 juillet 2025 . Cette décision révèle les contradictions potentielles entre les ambitions européennes affichées et la réalité des relations avec les partenaires de l’UE, même si le principal intéressé y voit le résultat d’une décision politique influencée par la présidente moldave, proche de l’actuel président roumain Nicușor Dan.

À la marge, le mouvement Notre Parti de Renato Usatîi, ancien maire de Bălți, joue la carte populiste et anticorruption, avec une rhétorique pro-russe et régionaliste. Bien que performant localement, ainsi qu’à la présidentielle où le candidat Usatîi a gagné deux fois la troisième place, il peine à convertir cette popularité en représentation nationale, comme en témoigne son score de 4,1 % lors de la précédente élection législative.

Dans ce contexte d’instabilité chronique de coalitions et de recomposition idéologique, l’élection de septembre pourrait ouvrir une nouvelle phase de fragmentation, où aucun acteur ne semble en mesure de fédérer durablement les aspirations d’une société en quête de stabilité, de souveraineté et de perspectives claires en matière économique et sécuritaire.
 

Titre Edito

Stagnation économique, réformes et polarisation interne

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La Moldavie aborde les élections législatives de septembre 2025 dans un climat de tension sociale et économique marqué par une stagnation persistante. Cette morosité économique se reflète dans les chiffres du produit intérieur brut (PIB) : selon la Banque mondiale, après une contraction de 4,6 % en 2022, le PIB a connu une croissance de 1,2 % en 2023 et de 0,1 % en 2024 . Le pays, déjà fragilisé par des déséquilibres structurels, a subi un choc inflationniste de près de 30 % dans le sillage de la guerre en Ukraine. La crise énergétique qui a frappé la Transnistrie début 2025 a révélé la vulnérabilité énergétique du système d’approvisionnement national et accentué les disparités territoriales . Alors que débute la campagne, les thèmes économiques prédominent dans les préoccupations des Moldaves . La productivité demeure faible, l’investissement étranger reste limité, les infrastructures sont insuffisamment développées, et l’émigration massive, notamment des jeunes actifs, continue de priver le pays de ses forces vives. On estime ainsi que plus d’un million de Moldaves travaillent désormais à l’étranger, soit environ le quart de la population totale. Chaque année, entre 35 000 et 40 000 personnes quittent le pays, une hémorragie qui pourrait réduire la population à 1,9 million d’habitants d’ici 2040, selon les projections du Centre de recherche démographique moldave.

Sur le plan institutionnel, la réforme de la justice demeure le chantier emblématique mais inachevé des mandats de Maia Sandu. Si la présidente conserve une image d’intégrité, les résultats concrets ont tardé à se matérialiser. Intervenue le 24 juillet 2025, l’arrestation de l’oligarque Vlad Plahotniuc, à l’origine du scandale du « milliard volé » de 2014 , a marqué une étape importante dans la lutte contre la corruption . Toutefois, les réseaux d’influence russes persistent, notamment dans les régions autonomes. Ainsi, la condamnation à sept ans de prison de l’ancienne gouverneure de Gagaouzie, Evghenia Hutsul, pour financement illégal du parti Șor avec des fonds russes non déclarés, a ravivé les tensions entre Chișinău et les bastions pro-russes. La Gagaouzie, historiquement proche de Moscou, se présente désormais comme un foyer de contestation ouvertement hostile à l’agenda pro-européen du gouvernement central.

Dans ce contexte, les élections de septembre ne seront pas seulement un test démocratique : elles incarneront un moment de vérité pour un pays en quête de cohérence entre ses ambitions européennes, ses réalités économiques et ses tensions internes.
 

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Florent Parmentier, docteur en science politique, est secrétaire général du CEVIPOF – Sciences Po et chercheur associé à HEC Paris. Enseignant également à Sciences Po la politique européenne, il est notamment l’auteur de La Moldavie à la croisée des mondes, Paris, Non Lieu, 2019 (avec Josette Durrieu).

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Points clés

1
Texte courant

À l’approche des élections législatives du 28 septembre 2025, la Moldavie se trouve dans une période critique marquée par une polarisation politique et des tensions géopolitiques.

2
Texte courant

Le Parti Action et Solidarité (PAS) de la présidente Maia Sandu affronte le Bloc électoral patriotique (BEP), principale force pro-russe du pays. La campagne révèle une fragmentation partisane et une montée de la défiance envers les élites, avec l’émergence de formations politiques hybrides comme le Bloc Alternativa.

3
Texte courant

En proie à des difficultés économiques, la Moldavie souffre d’une crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et d’une vulnérabilité structurelle accentuée par l’émigration. L’Union européenne soutient le cap pro-européen de la Moldavie, tandis que la Russie intensifie ses ingérences via des financements occultes, de la désinformation et des pressions, notamment en Transnistrie et en Gagaouzi

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Texte courant

Ce scrutin représente un test crucial pour la démocratie et l’avenir européen de la Moldavie, qui devient ainsi un laboratoire des rapports UE-Russie dans l’espace post-soviétique.

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979-10-373-1105-4

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Russie, Eurasie, Carte
Centre Russie/Eurasie
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Fondé en 2005 au sein de l’Ifri, le Centre Russie/Eurasie produit de la recherche et organise des débats sur la Russie, l’Europe orientale, l’Asie centrale et le Caucase du Sud. Il a pour objectif de comprendre et d'anticiper l'évolution de cette zone géographique complexe en pleine mutation pour enrichir le débat public en France et en Europe, et pour aider à la décision stratégique, politique et économique.

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Sergey SUKHANKIN
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