Le Kazakhstan après le double choc de 2022. Conséquences politiques, économiques et militaires
L’année 2022 a été marquée par un double choc pour le Kazakhstan : en janvier, le pays a connu la plus grave crise politique depuis son indépendance, et en février, la Russie a lancé une invasion à grande échelle de l’Ukraine, remettant en question les frontières entre les pays post-soviétiques. Ces événements successifs ont eu un impact profond sur la politique intérieure et extérieure du Kazakhstan.
Sur le plan intérieur, les autorités ont annoncé une série de réformes visant à instaurer un « nouveau Kazakhstan » et à promouvoir l’idée d’un « État à l’écoute ». Toutefois, trois ans après leur lancement, ces initiatives n’ont pas produit les résultats attendus, ni en matière de démocratisation effective des processus politiques, ni dans la résolution structurelle des problèmes socio-économiques.
La guerre totale menée par la Russie contre l’Ukraine a mis à l’épreuve la politique dite « multivectorielle » du Kazakhstan en matière de relations internationales. Entre 2022 et 2025, Moscou a consolidé son influence au Kazakhstan, notamment dans les secteurs économique et énergétique, tout en conservant une position dominante dans le domaine de la sécurité. Dans le même temps, les acteurs susceptibles d’agir comme contrepoids – au premier rang desquels la Chine et la Turquie – n’ont pas réussi à s’imposer comme de véritables pôles alternatifs de puissance, limitant ainsi la portée effective de la diplomatie multivectorielle kazakhstanaise.
L’année 2022 a constitué un moment charnière dans l’histoire contemporaine du Kazakhstan indépendant. Sur le plan intérieur, une crise politique majeure a conduit à une redéfinition des équilibres de pouvoir. Sur le plan extérieur, le déclenchement d’un conflit militaire d’une ampleur inédite dans l’espace post-soviétique a profondément reconfiguré les orientations de la politique étrangère du pays.
Depuis son indépendance, le Kazakhstan a poursuivi une stratégie de politique étrangère dite « multivectorielle », qui lui a permis de maintenir un équilibre entre la Russie et les pays occidentaux, mais également, au cours de la dernière décennie, avec de nouveaux acteurs tels que la Chine et la Turquie, de plus en plus présents et ambitieux en Asie centrale. Toutefois, à mesure que la politique de Moscou dans l’espace post-soviétique s’est affirmée et durcie, il est devenu de plus en plus difficile pour Astana de préserver cet équilibre et de garantir son autonomie stratégique. Dès 2015, le Kazakhstan se trouvait déjà profondément intégré à la Russie dans des domaines clés, à travers son appartenance à l’Union économique eurasiatique (UEE) et à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). L’importance de ces deux organisations, sous l’égide de Moscou, s’est d’ailleurs renforcée avec la réorientation de la politique étrangère russe vers une ligne ouvertement anti-occidentale. Néanmoins, le Kazakhstan a su maintenir un fragile équilibre, tant durant les dernières années de la présidence de Noursoultan Nazarbaïev que pendant les premières années du mandat de Kassym-Jomart Tokaïev. Malgré son intégration structurelle dans les institutions régionales dominées par la Russie et des relations bilatérales étroites, Astana a progressivement mis en oeuvre une politique de réaffirmation nationale. Celle-ci s’est traduite notamment par la promotion du kazakh comme langue centrale dans l’éducation, la culture et les médias, ainsi que par un processus de « décolonisation » symbolique, visant à rétablir la toponymie et les traditions nationales, souvent au détriment des héritages russes et soviétiques.
Le début de l’année 2022 a constitué un double choc pour le Kazakhstan, tant sur le plan interne qu’externe. En janvier, le pays a été confronté à une grave crise politique, marquée par une tentative de coup d’État et des émeutes violentes ayant fait plusieurs dizaines de victimes. Un mois plus tard, en février, la Russie – alliée économique et militaire d’Astana – a déclenché une guerre totale contre l’Ukraine. Ces deux événements successifs ont profondément transformé le paysage politique intérieur du Kazakhstan et fragilisé sa stratégie multivectorielle en politique étrangère. Le présent rapport propose une analyse des principaux changements consécutifs à ce double choc dans les domaines politique, économique, énergétique et militaire.
Vera Grantseva (Ageeva) est titulaire d’une maîtrise en philosophie, langue française et relations internationales, et d’un doctorat en relations internationales de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg (Russie). Elle a occupé le poste d’experte en relations internationales à la mairie de
Saint-Pétersbourg de 2008 à 2016, puis a été professeure associée à l’École supérieure d’économie (Saint-Pétersbourg) de 2017 à 2023 et professeure adjointe à l’École supérieure de management de 2017 à 2020. Depuis 2020, elle enseigne à Sciences Po Paris. En 2023, elle a publié son premier ouvrage, Les Russes veulent-ils la guerre ? (Éditions du Cerf).
Rakhimbek Abdrakhmanov est un économiste et expert kazakhstanais en politiques publiques. Diplômé de l’Institut de gestion d’Astana en 2008, il est également titulaire d’un master en sciences politiques de l’Université nationale Taras Shevchenko de Kiev (2022). Depuis 2025, il est directeur exécutif de l’Institute for the Future – Central Asia et expert invité à l’Université du Sussex (Royaume-Uni). Entre 2022 et 2024, il a été coordinateur des programmes internationaux à la Kazakhstan School of Applied Politics. Contributeur régulier à The Diplomat (Washington, D.C.) depuis 2022, il est l’auteur de How Nations Become Brands (Alpina Publisher, 2019).
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