L’adhésion à l’Union européenne n’a pas eu l’effet unificateur, voire niveleur, prévu. À l’Est, le vent dominant semble s’opposer aux plus anciennes références de la construction européenne. Et ébaucher une nouvelle division de l’Europe, qui prend naissance à l’intérieur même de l’Union.
Une « nouvelle pensée politique » ?
La première question que pose cette évolution – sans doute la plus importante – touche à la nature des régimes politiques. Le consensus européen valorise jusqu’à aujourd’hui un style de démocratie apaisée, recherchant un pluralisme qui promeut l’alternance, une démocratie ouverte – peut-être trop ? – aux influences extérieures et au dialogue avec l’étranger. Bref une logique politique où les intérêts nationaux, toujours bien vivants, sont quotidiennement relativisés – même s’ils reviennent à la charge en temps de crise.
En Hongrie, en Pologne, en Slovaquie, émerge une autre démarche, pas si éloignée de la « démocratie souveraine » à la Poutine. Exaltation non d’intérêts nationaux mais d’énoncés nationalistes. Invocation de l’autorité comme référence centrale, et contre la séparation des pouvoirs. Mise en place de changements politiques qui ne se vivent plus comme relatifs mais comme des basculements. Invocation des « valeurs » historiques ou religieuses contre des décadences dont l’Union européenne serait le vecteur... Les explications de tels glissements sont multiples : héritage de trop longues clôtures, absence de culture démocratique au xxe siècle, transition mal structurée par des partis inadaptés, violence des chocs économiques aux effets générationnels contradictoires… On plaidera aussi que les sociétés de l’Ouest européen ont leurs propres dérives populistes. Il n’en reste pas moins que les logiques politiques devenues majoritaires dans plusieurs pays de l’Est s’opposent point par point à la culture de l’intégration européenne, qui prône l’affaiblissement des nationalismes, l’extension du compromis, la sécularisation des valeurs, l’échange avec tous les environnements du Vieux Continent.
Une division majeure pour l’UE ?
D’où deux autres questions. Quel est désormais le degré de divergence des cultures politiques, et cette divergence est-elle compatible avec l’intégration européenne ? Qu’on le reconnaisse ou non, la construction européenne est bien une intégration. Non au sens et au degré fusionnels des fédéralistes ; mais au sens d’une progression constante dans le partage des cadres de référence et des pratiques (l’union « toujours plus étroite » dont ne veulent pas les Britanniques).
L’actuelle crise migratoire en Europe a été l’occasion, pour plusieurs des pays de l’Est de l’UE, d’une quasi-rupture avec ces références et pratiques de l’Union : refus global de l’idée de solidarité en la matière (une solidarité tant invoquée sur d’autres thèmes), décisions unilatérales (même s’ils ne sont pas les seuls à agir ainsi), invocation d’arguments historiques et culturels pour rejeter les migrants (parfois à la limite du culturalisme, voire du racisme), réanimation à la hâte du sous-bloc Visegrad pour soutenir ces positions. Plus largement, tout se passe comme si l’affirmation de ces pays dans l’Union se faisait désormais, sans souci donc du « juste retour » de la solidarité, contre l’idée d’un rapprochement continu, à quoi se substitue une vision purement contractuelle de la construction européenne. La Pologne peut bien s’opposer au Royaume-Uni à propos des travailleurs détachés dans la négociation ouverte autour du Brexit. En réalité, Varsovie n’est pas loin de Londres, qui voit l’UE comme régie par de simples contrats entre États, et non organisée par un projet commun contrebalançant les irréductibles égoïsmes d’États par la solidarité collective.
Vers une nouvelle guerre froide ?
Dans la crise ukrainienne, les Européens ont été comme tels peu présents, hors vote des sanctions, et ont surtout manifesté leurs divisions. Les Européens de l’Est sont aussi divisés. Mais pour un Orban lorgnant vers Moscou, la plupart des pays de la région appellent au renforcement des défenses de l’Alliance, le plus à l’est possible. C’est au premier chef le cas de la Pologne. On comprend que, pour les Polonais ou les Baltes, la mémoire historique se renforce des provocations actuelles de Moscou – manœuvres proches, tests des systèmes d’alerte aériens ou maritimes… Mais bien au-delà des appels à la solidarité atlantique, c’est à une véritable résurrection des discours de guerre froide que l’on assiste. Dans la foulée d’une dénonciation de l’appétit global de puissance de Moscou, se profile la demande de stationnements permanents de troupes de l’Alliance, ou même d’une dévolution des pouvoirs d’engagement à ses autorités militaires, au prétexte de parer à une attaque surprise.
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